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#Chlordecone - NON à la #PRESCRIPTION


Conférence de presse sur Zoom - Samedi 13 février 2021 - Réflexions et actions -




       
Les infractions sont classées en fonction de leur gravité (art. 111-1 CPP) en trois catégories : contravention, délit et crime. La gravité de l’infraction entraine des conséquences
  Sur la nature de la peine (l’article 1er du Code pénal de 1810 disposait, en effet, que : « L’infraction que les lois punissent de peines de police est une contravention. L’infraction que les lois punissent de peines correctionnelles est un délit. L’infraction que les lois punissent d’une peine afflictive ou infamante est un crime ») et   Sur le tribunal en charge de les examiner (les crimes sont jugés par la cour d’assises ; les délits, par le tribunal correctionnel ; les contraventions, par le tribunal de police).   Cette classification tripartite entraîne également des conséquences sur la prescription (cf. infra).  
    Infractions instantanées - L’acte matériel des infractions s’accomplit le plus souvent en un trait de temps : c’est le cas du meurtre (art. 221-1 du CP), du vol (art. 311-1 du CP) ou des violences (art. 222-7 du CP) qui sont qualifiés d’infractions instantanées.   Infractions permanentes - L’acte matériel s’exécute en un trait de temps mais dont les effets se prolongent dans le temps sans aucune intervention de l’auteur des faits initiaux. On peut par exemple citer l’exemple du délit de discrimination qui perdure tant qu’une distinction subsiste illégalement entre les personnes (art. 225-1 du CP).   Infractions continues – L’élément matériel de l’infraction se prolonge pendant une certaine durée du fait de la volonté réitérée de l’auteur. Il en est ainsi par exemple du recel (art. 321-1 du CP) ou de la séquestration d’une personne(art. 224-1 du CP). Les pollutions doivent être considérées comme des infractions continues[[1]]url:#_ftn1 .
  Infraction occulte – Il s’agit d’une infraction qui en raison de ses éléments constitutifs ne peut être connue ni de la victime ni de l’autorité judiciaire   Infraction dissimulée - L’auteur accomplit délibérément toute manœuvre caractérisée tendant à en empêcher la découverte.  
Suivant la nature de l’infraction, le régime de la prescription sera différent. Lorsque nous étudierons les différentes infractions envisageables (II.A.1), il conviendra d’en préciser la nature.
 
   
L’action publique a pour but de réprimer le trouble social engendré par une infraction par l’application d’une peine ou d’une mesure de sûreté contre l’auteur de l’infraction.
 
En droit français on enseigne que l’exercice de l’action publique appartient à la société, et à elle seule, qui l’exerce par la voie de ses représentants et en premier lieu, le Ministère public ; la mise en mouvement de l’action publique peut être demandée par une partie civile dans les conditions et les formes prévues par la loi[[2]]url:#_ftn2 .
 
L’action publique qui n’a pas été intentée pendant un certain délai s’éteint par l’effet de la prescription extinctive : « le délinquant ne peut plus être poursuivi et, de ce fait, l’infraction dont il s’est rendu coupable va rester impunie »[[3]]url:#_ftn3 .
 
   
Suivant le professeur Bernard BOULOC, le fondement de la prescription repose sur une double idée :
  « Au bout d’un certain temps, dans un intérêt de paix et de tranquillité sociale, mieux vaut oublier l’infraction qu’en raviver le souvenir » ;   « Au fur et à mesure que le temps s’écoule depuis que l’infraction a été commise les preuves disparaissent (…) une action exercée trop longtemps après la commission de l’infraction risquerait de provoquer une erreur judiciaire » (Bouloc, n ° 203).  
Au cas particulier du dossier CHLORDECONE, aucun de ces arguments n’est convainquant. Bien au contraire, une ordonnance de non-lieu pour cause de prescription viendrait troubler la paix sociale aux Antilles et entretenir la suspicion d’une justice « néocoloniale » protectrice des intérêts des anciennes familles d’esclavagistes.
 
D’autant plus, qu’il est important de souligner que la pollution ainsi que les préjudices et les conséquences sanitaires se poursuivent encore aujourd’hui puisqu’on estime la contamination, notamment des sols, à plusieurs siècles.
 
Quant à la disparition des preuves, elle a été organisée puisque certaines archives ministérielles ont tout simplement et opportunément disparues. Cette absence de preuve, accentuée par l’inaction des pouvoirs publics, qui ont tardé à agir et ont fait preuve d’un singulier manque de diligence, profite aux criminels.
 
L’application de la prescription pour éviter une hypothétique « erreur judiciaire » provoque un réel et immédiat « déni de justice ».
 
   
Selon le professeur Bernard BOULOC (n° 204), « si l’on se place sur le terrain de l’utilité sociale et de la défense de la société contre le délinquant, le temps ne saurait atténuer ni supprimer le danger que ce dernier représente pour la société ». Autrement dit, la prescription supprime l’aléa moral et la crainte d’une possible sanction si un acteur économique ou administratif fait prendre à autrui des risques inconsidérés.
 
De même, plusieurs auteurs soulignent que la prescription « profite aux délinquants d’habitude et par tendance ». C’est la raison pour laquelle, l’appréciation des différents éléments de la prescription doit se faire avec sévérité pour ne pas devenir un moyen commode d’échapper aux poursuites, en raison notamment de la désorganisation de l’institution judiciaire ou des pressions politiques savamment organisées.
 
La prescription de l'action publique a pu être définie comme le « droit accordé par la loi à l'auteur d'une infraction de ne plus être poursuivi ni jugé après l'écoulement d'un certain délai depuis la réalisation des faits »[[4]]url:#_ftn4 . Toutefois, la Cour de cassation considère que la prescription « ne revêt pas le caractère d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République et ne procède pas des articles 7 et 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, ni d'aucune disposition, règle ou principe de valeur constitutionnelle » [[5]]url:#_ftn5 .
 
     
Le délai de prescription de l’action publique a pour point de départ le jour où l’infraction a été commise (ou tentée lorsque la tentative est punissable, art. 7 al. 1er du CPP). Les prescriptions propres à certaines matières particulières (droit de la presse, infractions sexuelles contre les mineurs, etc.) ne sont pas détaillées.
 
    Pour une infraction instantanée – L’application du principe est simple, le point de départ correspond au jour de réalisation de l’élément matériel de l’infraction (« soustraction frauduleuse » pour un vol ; « le fait de donner la mort » pour un homicide).   Pour une infraction continue - La prescription ne court qu’à partir du jour où l’activité délictueuse ou criminelle a pris fin. Par exemple, à partir du moment où le receleur n’est plus en possession de l’objet litigieux.   Pour une infraction occulte ou dissimulée - En vertu de l’art. 9-1 al. 3 à 5 du CPP, incorporant dans la loi plusieurs avancées jurisprudentielles, le délai de prescription court à compter du jour où l’infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant la mise en mouvement ou l’exercice de l’action publique.  
La loi du 27 février 2017 est venue introduire une limite en prévoyant que le délai de prescription ne pourra, malgré l’application la règle du report du point de départ du délai, jamais excédé 12 (douze) années révolues pour les délits et 30 (trente) années révolues pour les crimes à compter du jour où l’infraction a été commise.
 
Toutefois, « si une juridiction pénale a été saisie avant l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, le délai butoir n'a pas vocation à s'appliquer »[[6]]url:#_ftn6
 
Dans le dossier CHLORDECONE, les juges d’instruction ayant été saisis en 2006 (soit onze ans avant la loi du 27 février 2017), la question du délai butoir n’a pas lieu de s’appliquer.
 
La prescription n’est donc pas acquise.
 
     
La loi du 27 février 2017 est venue modifier les délais de prescription. Encore faut-il vérifier si elle peut s’appliquer.
  Impossibilité de remettre en cause une prescription définitivement acquise - Les lois nouvelles relatives à la prescription possèdent un régime spécial. Le Code Pénal indique qu’elles ne s’appliquent pas si les prescriptions sont déjà définitivement acquises (art. 112-2, 4° du CP).  
La personne qui bénéficie déjà de la prescription ne peut ainsi se voir appliquer une loi nouvelle qui allonge le délai de prescription.
  Application immédiate des lois nouvelles modifiant les règles de prescription - A l’instar des lois nouvelles relatives à l’exécution des peines, le Code Pénal prévoyait à l’origine que les lois de prescription s’appliquaient immédiatement sauf si elles aggravaient le sort des intéressés.  
La Loi du 9 mars 2004 n° 2004-204 est venue modifier cette règle en supprimant la phrase « sauf quand elles auraient pour résultat d’aggraver la situation de l’intéressé » à l’article 112-2, 4° du CP. Ainsi, désormais toutes les lois nouvelles modifiant les règles de prescription s’appliquent immédiatement aux faits commis antérieurement, qu’elles soient défavorables ou non à la personne concernée.
 
Pour autant, le rallongement du délai prévu par la loi (cf. I.D.2) n’a pas d’effet rétroactif. Ainsi, les délais de prescription antérieurs à la date d’entrée en vigueur de la loi (soit le 1er mars 2017) ne sont pas modifiés. Si la loi a un effet immédiat, cet effet ne concerne que l’avenir.
 
Ex. un délit a été commis le 28 octobre 2013. Une enquête a été ordonnée le 10 juin 2016 interrompant la prescription et relançant le calcul pour 3 ans soit jusqu’au 10 juin 2019. Au 1er mars 2017 (date d’entrée de la loi du 27 février 2017), la première interruption n’est pas affectée mais la prescription en cours passe de 3 à 6 ans pour se terminer le 10 juin 2022 au lieu de 2019.
 
   
Depuis le Code d’instruction criminelle de 1808, les délais de prescription étaient de 10 ans pour les crimes, 3 ans pour les délits et 1 an pour les contraventions, à compter de la commission de l’infraction.

 
La loi n°2017-242 du 27 février 2017 est venue doubler les délais de prescription de droit commun en matière de crimes et de délits.
  En matière criminelle, le délai passe donc de 10 ans à 20 ans (art. 7 du CPP).   En matière délictuelle, le délai passe ainsi de 3 ans à 6 ans (art. 8 du CPP).  
Nous n’aborderons pas ici les délais dérogatoires propres à certaines matières, comme le droit de la presse ou la répression des agressions sexuelles sur un mineur, où les délais sont soit plus courts soit plus longs.
 
   
Les crimes contre l’humanité sont imprescriptibles depuis la loi n° 64-1326 du 26 décembre 1964. Cette imprescriptibilité n’était toutefois pas inscrite dans le Code de Procédure Pénale. C’est désormais chose faite grâce à la réforme du 27 février 2017 (art. 7 al. 3 du CPP). Sur la définition de ce crime et l’application de cette incrimination dans le temps, la question est réservée à une note approfondie pour tenir compte de l’impact de la loi n° 2001-434 du 21 mai 2001 (ci-après la « Loi Taubira »).
 
Nous n’abordons cette question importante que pour contextualiser le questionnement sur la prescription. Nous pensons qu’il n’est pas besoin d’invoquer ce crime pour tenter de « sauver » la prescription dans le dossier CHLORDECONE.
 
Pour autant, il faudra bien qu’un jour les juridictions de la République affrontent loyalement cette question et répondent à la soif inextinguible de justice qu’appelle la gravité de ce crime concernant tant les habitants et être vivants victimes, que les sols et minéraux pollués pour plusieurs siècles[[7]]url:#_ftn7 .
 
Nous réservons cette question essentielle à une étude approfondie et autonome.

      Causes d’interruption –  (…)   Effet de l’interruption : on remet les compteurs à zéro - Une cause interruptive de prescription a pour conséquence d’effacer le temps qui s’est déjà écoulé et de faire repartir le délai à zéro à compter de l’acte interruptif pour un nouveau délai de même durée.  
Par ailleurs, la Loi du 27 février 2017 est venue préciser que l’acte interruptif fait courir un délai de prescription d’une durée égale au délai initial et que l’effet interruptif s’étend aux infractions connexes ainsi qu’au auteurs ou complices même non visés par l’acte.
 
    Causes de suspension – (…)   Effet de la suspension -
 
[[1]]url:#_ftnref1      Renaud de Laâge de Meux, Louise Tschanz, Quelle effectivité de l’accès à la justice environnementale en 2018 ?,Bulletin du Droit de l’Environnement Industriel, 74, 01-03-2018 .
[[2]]url:#_ftnref2      Jacques LEROY, Procédure pénale, LGDJ, 6e édition n° 393, « La mise en mouvement est l’acte initial de la poursuite, et appartient non seulement au ministère public mais aussi à la partie lésée par l’infraction (article 1e CPP).  En revanche, l’exercice de l’action (c’est-à-dire la direction de l’action, qui se traduit notamment par les réquisitions à prendre en vue de l’instruction puis du jugement du procès, ainsi que dans l’exercice des voies de recours) est entre les mains exclusivement du ministère public et des fonctionnaires de certaines administrations ».
[[3]]url:#_ftnref3      BOULOC, Procédure pénale, Précis Dalloz, n° 202 et s.
[[4]]url:#_ftnref4      CEDH, 22 juin 2000, req. 32492/96, 32547/96, 32548/96, 33209/96 et 33210/96, Coëme et autres c/ Belgique, § 146.
[[5]]url:#_ftnref5      Cass. ass. plén., 20 mai 2011, no 11‐90.033, Bull. ass. plén., no 6 ; Cass. ass. plén., 20 mai 2011, no 11‐90.025, Bull. ass. plén., no 7 ; Cass. ass. plén., 20 mai 2011, no 11‐90.032, Bull. ass. plén., no 8).
[[6]]url:#_ftnref6      Jacques Leroy & al. Formulaires ProActa Procédure pénale, Lamyline, § 110-1
[[7]]url:#_ftnref7      Louis BOUTRIN et Raphaël CONFIANT, Chronique d’un empoisonnement annoncé : le scandale du chlordécone aux Antilles françaises (1972-2002), L’Harmattan, 2007, p. 64.
      Chloé Merlin. Recherche de la signature biologique de la dégradation du chlordécone dans le sol des Antilles françaises. Sciences agricoles. Université de Bourgogne, 2015. Français. ‌NNT : 2015DI- JOS001
      Malcom FERDINAND, Une écologie décoloniale, Penser l'écologie depuis le monde caribéen, Seuil, 2019, p. 187, « la contamination au chlordécone n’est pas un accident industriel qui serait la conjonction malheureuse d’une molécule particulière et d’un sol particulier comme le sous-entend le rapport parlementaire de 2009. Elle découle surtout d’un habiter colonial de la Terre qui transforme le monde en Plantation. », p. 189, « Ainsi devient-il plus profitable sur une terre contaminée de poursuivre la monoculture de la banane ayant causé la contamination, que de mettre en œuvre une méthode de dépollution et d’œuvrer à une agriculture vivrière. Les propriétés chimiques du chlordécone favoriseraient sinon le développement à tout le moins le maintien de la même filière agricole à l’origine de la contamination des Antilles : la banane Cavendish. Les planteurs comme le raconte Simone Schwartz-Bart dans son roman « Ti Jean l’Horizon », semblent bien « trouver une assurance nouvelle au milieu du désastre ».