Imaginez que la pollution au plomb de la Cathédrale Notre-Dame concerne non pas quelques centaines de riverains mais 92 % de la population parisienne et ce, pour plusieurs siècles. La mobilisation des médias et des pouvoirs publics serait spectaculaire : combien de « une », de débats et de propositions de solution.
À 8.000 km de la capitale, un drame se joue dans une relative indifférence générale.
Malgré tous les obstacles et la lâche inertie de certains, les travaux de la commission d’enquête parlementaire présidé par M. Serge LETCHIMY, ont pu mettre en évidence certaines vérités qui étaient tues ou niées : le chlordécone est un pesticide organochloré dont la dangerosité pour l’humain, la faune et l’environnement est connue depuis 1968. En 1976, sa production a été interdite aux USA. En 1979, l’OMS l’a classé comme cancérogène probable. Mais, en France, il a fallu attendre… 1990 pour qu’il soit officiellement interdit, même si entre les dérogations (pour écouler les stocks, sic !) et les usages occultes, la pollution a continué, au moins au cours des années 90. Et il fallut attendre le début des années 2000 pour que l’Etat prenne conscience de situation critique pour les populations exposées, même si tout est fait pour créer du doute et des ambigüités sur la dangerosité de ce produit. Les déclarations du président Macron sur l’absence de lien de causalité entre le chlordécone et l’explosion des cancers, notamment de la prostate, est un modèle du genre.
Pour comprendre la complaisance de tous les gouvernements de la république de 1972 à 1993 envers ce produit mortifère, il faut revenir un instant sur le rôle central de la culture de la banane dans l’économie antillaise.
La banane couvre 25 % de la superficie agricole cultivée à la Martinique et 10 % en Guadeloupe. Son poids économique dans la valeur de production agricole est respectivement de 54 et 20 % (Ministère de l’agriculture 2011). Encore faut-il immédiatement insister sur le caractère artificiel de cette production : outre l’apport du chlordécone, la banane ne survit qu’en raison d’une dose massive de subvention. D’après la Cour des comptes, le regroupement des exploitation (en 20 ans, 2 exploitations bananières sur 3 ont disparu en Martinique et 4 sur 5 en Guadeloupe) conduit à une concentration de l’aide autour de 15 800 €/ha (en moyenne, valeur 2008). Les exploitations supérieures à 50 ha représentant 6 % des productions mais globalisant plus de 50 % de la production totale, perçoivent une aide moyenne de 18 411 €/ha soit 1 401 0077 €/exploitation (surface moyenne 76,1 ha) L’aide est donc très inégalement répartie et fortement concentrée. Et au total, ce sont plus de 120 millions d’euros chaque année qui sont absorbés par cette filière au détriment des cultures vivrières ou d’autres secteurs agricoles qui permettraient d’assurer une autonomie alimentaire des Antilles.
Car l’autre problème qui va falloir résoudre avant un effondrement mondial ou, au moins, un renchérissement des coûts de transports, réside dans la dépendance des Antilles aux produits venant de l’hexagone : 80 % de la consommation, y compris alimentaire est importée.
Avec le recul, on s’aperçoit que ce produit a contaminé les sols, les eaux (en surface ou en profondeur) et les côtes, au point que longtemps, les pouvoirs publics ont recommandé de ne pas consommer local (ni poisson ni certains légumes) renforçant la dépendance des antillais vis-à-vis de la grande distribution qui est – heureux hasard ?- entre les mains des grandes familles coloniales, les mêmes qui ont utilisé, fabriqué et/ou distribué le chlordécone, en toute connaissance de cause et en toute impunité.
Mais dénoncer ne suffit plus, il faut agir ici et maintenant.
À 8.000 km de la capitale, un drame se joue dans une relative indifférence générale.
On meurt en silence parce qu’exposés depuis longtemps et insidieusement à un pesticide aussi puissant que dangereux.
Malgré tous les obstacles et la lâche inertie de certains, les travaux de la commission d’enquête parlementaire présidé par M. Serge LETCHIMY, ont pu mettre en évidence certaines vérités qui étaient tues ou niées : le chlordécone est un pesticide organochloré dont la dangerosité pour l’humain, la faune et l’environnement est connue depuis 1968. En 1976, sa production a été interdite aux USA. En 1979, l’OMS l’a classé comme cancérogène probable. Mais, en France, il a fallu attendre… 1990 pour qu’il soit officiellement interdit, même si entre les dérogations (pour écouler les stocks, sic !) et les usages occultes, la pollution a continué, au moins au cours des années 90. Et il fallut attendre le début des années 2000 pour que l’Etat prenne conscience de situation critique pour les populations exposées, même si tout est fait pour créer du doute et des ambigüités sur la dangerosité de ce produit. Les déclarations du président Macron sur l’absence de lien de causalité entre le chlordécone et l’explosion des cancers, notamment de la prostate, est un modèle du genre.
Le gouvernement utilise la même méthode que tous les pollueurs depuis 70 ans : prétendre au nom de la science que la preuve n’est pas apportée et déporter dans le temps la légitime demande de prise en charge (Stéphane Foucart, La fabrique de mensonge, Gallimard, 2014).
Pour comprendre la complaisance de tous les gouvernements de la république de 1972 à 1993 envers ce produit mortifère, il faut revenir un instant sur le rôle central de la culture de la banane dans l’économie antillaise.
La banane couvre 25 % de la superficie agricole cultivée à la Martinique et 10 % en Guadeloupe. Son poids économique dans la valeur de production agricole est respectivement de 54 et 20 % (Ministère de l’agriculture 2011). Encore faut-il immédiatement insister sur le caractère artificiel de cette production : outre l’apport du chlordécone, la banane ne survit qu’en raison d’une dose massive de subvention. D’après la Cour des comptes, le regroupement des exploitation (en 20 ans, 2 exploitations bananières sur 3 ont disparu en Martinique et 4 sur 5 en Guadeloupe) conduit à une concentration de l’aide autour de 15 800 €/ha (en moyenne, valeur 2008). Les exploitations supérieures à 50 ha représentant 6 % des productions mais globalisant plus de 50 % de la production totale, perçoivent une aide moyenne de 18 411 €/ha soit 1 401 0077 €/exploitation (surface moyenne 76,1 ha) L’aide est donc très inégalement répartie et fortement concentrée. Et au total, ce sont plus de 120 millions d’euros chaque année qui sont absorbés par cette filière au détriment des cultures vivrières ou d’autres secteurs agricoles qui permettraient d’assurer une autonomie alimentaire des Antilles.
Car l’autre problème qui va falloir résoudre avant un effondrement mondial ou, au moins, un renchérissement des coûts de transports, réside dans la dépendance des Antilles aux produits venant de l’hexagone : 80 % de la consommation, y compris alimentaire est importée.
Pour entretenir des bananeraies, souvent héritières des anciens domaines esclavagistes liés à l’exploitation de la canne à sucre, les propriétaires (dont l’un s’est publiquement vanté d’avoir ses entrées à l’Elysée, sans avoir besoin de présenter sa carte d’identité !) ont obtenu, par dérogations successives, le droit d’utiliser ce funeste pesticide, le chlordécone.
Avec le recul, on s’aperçoit que ce produit a contaminé les sols, les eaux (en surface ou en profondeur) et les côtes, au point que longtemps, les pouvoirs publics ont recommandé de ne pas consommer local (ni poisson ni certains légumes) renforçant la dépendance des antillais vis-à-vis de la grande distribution qui est – heureux hasard ?- entre les mains des grandes familles coloniales, les mêmes qui ont utilisé, fabriqué et/ou distribué le chlordécone, en toute connaissance de cause et en toute impunité.
Dans ces conditions, on comprend mieux pourquoi Me Lèguevaques, avocat qui conduit l’action pour le CRAN, l’association VIVRE et LYANNAJ POU DEPOLYE MATINIK, a expliqué devant la Commission d’enquête parlementaire : « au-delà d’un crime d’Etat, nous sommes en présence d’un crime colonial » (21 septembre 2019).
Mais dénoncer ne suffit plus, il faut agir ici et maintenant.
Réparer le passé, préparer l’avenir.
Comme le disent Patricia CHATENAY-RIVAUDAY, présidente, et Jean-Marie FLOWER, vice-président de VIVRE, « nous sommes en guerre », guerre contre le mensonge, contre les faux fuyants et tous ceux qui savaient et qui ont préféré s’abstenir pour ne pas remettre en cause les équilibres économiques, sociaux ou politique du moment, laissant la pollution se répandre des bananeraies à l’ensemble du territoire, s’enkystant dans l’environnement pour plusieurs siècles.
Hélas, certains élus ont fait preuve, dans ce dossier, d’une docilité voire d’une complicité devenues aujourd’hui honteuses. Nous nous méfions d’une haute administration lointaine et peu sensible à la protection des populations antillaises.
Disons-le clairement, nous en voulons également à tous ces complices du quotidien, qui savaient depuis 1976, sinon depuis le début, et qui ont laissé faire, sans tirer le signal d’alarme, sans mettre en garde. Devant cette nouvelle forme de la banalité du mal, il sera très difficile de répartir la charge d’une responsabilité évidente – même si cela sera nécessaire au regard de l’histoire et par respect des générations futures.
Des procédures sont en cours et elles doivent prospérer. Mais, pour réparer le passé et préparer l’avenir, nous proposons la création d’une commission Justice & Vérité (« CJV »), sur le modèle de celle créée après la fin de l’apartheid en Afrique du Sud.
Cette CJV aura une triple mission :
rechercher et retracer tous les éléments permettant d’écrire l’histoire du Chlordécone, cela suppose que la loi Secret des affaires soit cantonnée dans le cadre des scandales sanitaires. De plus, il conviendra de permettre à la disposition de tous (du citoyen au chercheur) l’intégralité des documents récupérés. Cela n’a rien d’exceptionnel, les USA l’ont fait, dès les années 2000 en mettant en ligne 80 millions de pages de documents internes des fabricants de cigarettes (ProCtor, Golden Holocaust, Fayard, 2014). Ce travail de collecte des informations permettra de faire cesser le négationnisme de certains (« je ne savais pas ») et d’identifier tous les responsables. Mise en place d’un Fonds d’indemnisation : comme pour les dossiers Amiante, PIP ou essais nucléaires dans le Pacifique, il conviendra de prévoir une mécanique d’indemnisation équitable et rapide pour permettre à toutes les victimes du Chlordecone de se manifester et d’être indemnisé, quelle que soit la nature du préjudice moral, corporel, économique. Ce fonds pourra être abondé par l’Etat, à charge pour lui de se retourner le moment venu contre les co-responsables (fabricants, importateurs, distributeurs et utilisateurs négligents). Cette technique permet une prise en charge immédiate des victimes et laisse aux différents responsables le soin de se répartir la charge de l’indemnisation. élaboration d’un projet économique et écologique pensé en concertation à tous les niveaux mais géré localement, permettant de faire face à l’avenir tant en ce qui concerne la qualité de l’eau que notre souveraineté alimentaire. En réorientant les fonds alloués aujourd’hui à la banane, c’est tout le secteur agricole qui peut être modernisé et orienté vers la production locale de produits « bio ». Il faut retrouver la force qui est en nous et être fier des produits qui peuvent assurer une plus grande biodiversité.
Nous sommes conscients de la complexité des enjeux et du travail législatif que cela suppose. Cela peut prendre du temps, ne serait ce que pour faire évoluer les modes dominants de pensée et les schémas culturels intériorisés par les populations.
C’est la raison pour laquelle, afin que les élus et le gouvernement comprennent qu’il ne suffit de dialoguer entre soi, nous appelons tous les citoyens des Antilles et de la diaspora de participer activement à l’action collective conjointe en responsabilité contre l’Etat pour obtenir l’indemnisation du préjudice d’anxiété (https://chlordecone.mysmartcab.fr/). Cette action initiée par VIVRE, le CRAN et lyannAJ POU DEPOLYE MATINIK, soutenue par plusieurs associations et collectifs signataires doit prouver que les citoyens ont décidé de prendre leur destin en main.
Pour Philippe PIERRE-CHARLES’ porte-parole du collectif LYANNAJ POU DEPOLYE MATINIK, regroupant une quinzaine d’associations martiniquaises, cette action doit permettre de rendre visible la légitime indignation des peuples et marquer l’élargissement de la mobilisation des citoyens trop souvent persuadés qu’il serait trop tard pour agir.
Pour Ghislain VEDEUX, président du CRAN, l'affaire du chlordécone est un révélateur de la situation des Antilles, la santé des populations ne fait pas le poids face aux rentes de situation remontant à l'époque du « Code Noir ».
Ainsi, au-delà de la réclamation indemnitaire, c’est la reconnaissance de la responsabilité de l’Etat dans ce scandale sanitaire majeur qui nous motive. Ce sera la première étape pour obtenir réparation servant de base à la reconstruction d’une économie antillaise toujours marquée par l’abjection coloniale. Ce sera l’occasion de voir émerger une « écologie décoloniale » (Malcom Ferdinand, Seuil, 2019).
Liste des signataires : (par ordre alphabétiques)
Jean-Jacob Bicep (ancien député européen), Patricia Chatenay-Rivauday (présidente de l’Association VIVRE), Jean-Marie Flower (vice-président de l’association VIVRE), Véronique Hélènon (historienne), Joannés Louis (avocat au barreau de Paris), Jean-Paul Monfret (Directeur de la Société des eaux de Capès-Dolé), Dr Jean-claude Pitat (PDG de la Société des eaux de Capès Dolé), Alain Plaisir (Président du CIPPA - Comité d’Initiative pour un Projet Politique Alternatif ), Philippe Pierre-Charles (LYANNAj pou depolye Matinik), Maboula Soumahoro (maitre de conférence), Laure Tarer (membre du conseil d’administration de de l’association VIVRE), Louis-Georges Tin (président d’honneur du CRAN), Ghislain Vedeux (président du CRAN).