Je me souviens …
- cette usine tient une place centrale dans l’histoire de notre famille ;
- on l’appelait ONIA, AZF c’était le nom sur le cheminée rouge et blanche dans laquelle on condensait l’urée ;
- mon grand-père, François, un géant (à mes yeux) avec des grandes pattes d’ours et à la douceur du géant vert a travaillé dans l’usine. Il portait à dos d’homme les immenses sacs d’ammonitrates (je vous parle d’un temps d’après guerre)
- mon frère Daniel y a travaillé une vingtaine d’années, avant de partir chez Sanofi au début des années 2000. Il fut le secrétaire du CHCST (comité hygiène et sécurité). Avec lui s’ouvre le souvenir des camarades de travail qui se retrouvaient à l’air pur des Pyrénées au pied du Mont Vallier.
- mon frère Philippe travaillait à la SNPE (la poudrerie quoi) et heureusement il n’était pas sur place le 21 septembre 2001
- j ai travaillé dans l’usine 2 ou 3 étés de suite pour financer mes études. Je me souviens de la camaraderie entre les travailleurs en 3/8 et les longues discussion en écoutant radio nostalgie et en buvant des litres d’un café noir, épais pour lutter contre le sommeil qui pointait le bout de son nez vers 4h30, de la crainte et du respect pour l’ingénieur, des rondes pour surveiller un monstre endormi qu’il fallait caresser à coup de clé à molette. L’un de mes pires souvenirs professionnels, dans le hangar d’urée, j’étais en train de nettoyer les rails avec une brosse à poil dur. Il faisait chaud comme un été à Toulouse, sans air, le sentiment d’étuves était renforcé par le lieu clôt, étouffant, le bleu de travail, les gants, le masque, le casque, les grosses chaussures de sécurité et cette poussière d’urée qui brulait au contact de la transpiration. Nous devions être en 1991.
Et 10 ans plus tard, à la surprise générale (vraiment ?), le 21 septembre 2001. 31 mors, des milliers de blessés, des dégâts innombrables
Et j’ai troqué mon bleu de travail pour une petite robe noire d’avocat, j’ai défendu l association des sinistrés du 21 septembre et la ville de Toulouse. Mais ça c’est une autre histoire. On peut lire ici ou là, mes plaidoiries qui luttent contre le doute fabriqué par TOTAL et ses affidés dans ce que l’on n’appelait pas encore les fake news.
Aujourd’hui commence le combat de la mémoire.
N’oublions rien. Ne laissons pas les révisionnistes inventer une vérité alternative.
C’était une ACCIDENT INDUSTRIEL et rien d’autres, résultat d’années d’économies de bout de chandelles sur la sécurité et les conditions de travail, la formation des travailleurs, afin d’être rentables et réserver la plus value générée par le travail aux actionnaires de Total, fonds de pension et autres rentiers.
Un accident industriel causé par la perte de mémoire des ouvriers de l’usine - toujours moins nombreux - qui furent remplacés par des intérimaires et des sous traitants qui ne savaient pas que l’ammonitrate ne doit JAMAIS rencontrer le DCCNa.
« Plus jamais ça ni ici ni ailleurs » comme ils disent mais je crains que ce ne soit un beau slogan, aussi vite oublié que prononcé si j’en crois la création de nouveaux risques industriels à Port la Nouvelle ou ailleurs.