1. La Première chambre civile de la Cour de cassation a rendu il y a une heure trois arrêts particulièrement attendus (ci-joints), à commencer par celui de l’affaire Tecnimont. Il s’agit de sa seconde décision dans cette affaire qui occupe l’esprit depuis plus de cinq ans et qui sera publiée au Bulletin des arrêts de la Cour de cassation et commentée dès lundi prochain dans la Semaine juridique, édition générale. Cet arrêt était attendu sur deux questions :
- l’étendue de l’obligation de révélation de l’arbitre et
- la force obligatoire du règlement d'arbitrage applicable au litige.
« La partie qui, en connaissance de cause, s'abstient d'exercer, dans le délai prévu par le règlement d'arbitrage applicable, son droit de récusation en se fondant sur toute circonstance de nature à mettre en cause l'indépendance ou l'impartialité d'un arbitre, est réputée avoir renoncé à s'en prévaloir devant le juge de l'annulation, de sorte qu’il lui incombait de rechercher si, relativement à chacun des faits et circonstances qu’elle retenait comme constitutifs d’un manquement à l’obligation d’indépendance et d’impartialité de l’arbitre, le délai de trente jours imparti par le règlement d’arbitrage pour exercer le droit de récusation avait, ou non, été respecté ».
La Cour de cassation estime donc, à juste titre selon nous, que l’intégralité du règlement d’arbitrage engage les litigants, et qu’il ne saurait y avoir d’application perlée de celui-ci.
2. Dans le deuxième arrêt rendu ce jour, la Cour de cassation intervenait dans la tentaculaire affaire Groupe Antoine Tabet, qui a généré déjà beaucoup de décisions, celle-ci étant également promise à une publication au Bulletin des arrêts de la Cour de cassation. Il s’agissait cette fois du volet de l’affaire portant sur l’indépendance et l’impartialité du président du tribunal arbitral, à qui il était reproché de ne pas avoir révélé être lié, comme administrateur et comme avocat associé, à un groupe de sociétés garant de l’éventuelle condamnation d’une des parties par la sentence arbitrale. La Cour d’appel de Paris avait refusé d’y voir conflit d’intérêts et avait rejeté le recours en annulation (Paris 17 mars 2011, rép. gén. n° 09/24746 ; Rev. arb. 2011.741, obs. D. Cohen p. 611). Le pourvoi est ici rejeté avec l’attendu suivant :
« Mais attendu que l’arrêt, après avoir rappelé les termes des trois accords, conclus en 1996, 2001 et 2003, en déduit que le mécanisme est neutre pour la société TEP Congo puisque cette société paiera 70 millions de dollars US, que la République du Congo soit ou non condamnée, ce paiement se faisant au profit, soit de la société GAT, soit de la République du Congo, et en tire la conséquence que l’issue de la procédure arbitrale n’aura aucun retentissement sur la situation financière de la société TEP Congo, laquelle n’est d’ailleurs pas partie à la procédure, ce qui exclut l’existence d’un éventuel conflit d’intérêts susceptible de créer un risque de défaut d’indépendance et d’impartialité de V. ; qu’ayant ainsi fait ressortir que les circonstances non révélées, relatives aux relations d’affaires de l’arbitre avec le groupe Total ne pouvaient, rapprochées des autres éléments de la cause, être de nature, ni à affecter son jugement, ni à provoquer, dans l’esprit des parties, un doute raisonnable sur ses qualités d’impartialité et d’indépendance, la cour d’appel, qui n’était tenue, ni de procéder à la recherche invoquée dans la deuxième branche, ni de répondre au simple argument mentionné dans la troisième, a décidé à juste titre de rejeter le moyen tiré de la constitution irrégulière du tribunal arbitral ».
En d’autres termes, le fait que la solution de la sentence soit sans conséquence pour la société réputée proche de l’arbitre contesté, car elle ne fera que déterminer le créancier et non la créance, empêche de considérer que les liens de cet arbitre avec ce tiers concerné ait pu affecter le jugement de l’arbitre ni mettre en doute son impartialité non plus que son indépendance. Voilà bien une nouvelle manière d’évaluer l’indépendance de l’arbitre, à savoir en fonction des conséquences de la décision qu’il rend.
3. Enfin, le troisième arrêt, rendu dans l’affaire Nikcool, non destiné à une publication au Bulletin, rejette le pourvoi contre un arrêt de la Cour d’appel de Paris (Paris 20 mars 2012, rép. gén. n° 11/14146 ; Rev. arb. 2012.805, note D ; Kühner ; Gaz. Pal. 13-17 juill. 2012, p. 14, obs. D. Bensaude ; D. 2012.Panor.3001, obs. Th. Clay) qui avait estimé que le juge d’appui ne commettait pas d’excès de pouvoir en se prononçant sur une difficulté de constitution d’un tribunal arbitral même s’il s’agissait d’un arbitrage institutionnel dès lors que le centre d’arbitrage l’avait accepté, notamment du fait de sa mise en cause personnelle par l’une des parties. La Cour de cassation estime que « les violations alléguées, fussent-elles établies, n’étant pas de nature à caractériser un quelconque excès de pouvoir, c’est à bon droit que la cour d’appel a déclaré la société Nykcool irrecevable en son appel-nullité ». Ce faisant, l’arrêt admet l’intervention subsidiaire du juge d’appui, à celle du centre d’arbitrage, dès lors que celui-ci est empêché ou qu’il accepte d’être suppléé.
Thomas Clay
On peut télécharger les décisions ci-dessous :