ENTRETIEN avec Christophe LEGUEVAQUES, avocat
cLé réseau d’avocats, Paris Toulouse Marseille
Question — Après le 3 janvier 2004 et le crash du Vol Charter FSH 604 de la Compagnie Egyptienne Flash Airlines transportant 148 personnes qui a secoué l’opinion internationale et française, cet accident a-t-il modifié le traitement juridique ou judiciaire de ce genre d’événements ?
Christophe LEGUEVAQUES — Comme souvent, un accident de cet ampleur suscite stupeur et indignation. Les compagnies charter sont montrées du doigt et pour la première fois, la qualité des contrôles effectuées par les autorités françaises est mise en cause. A tel point que l’Assemblée nationale a constitué une mission d’information sur la sécurité aérienne présidée par Mme Odile SAUGUES qui a remis son rapport en juillet 2004. Un malheur supplémentaire frappe les
familles françaises. Le droit applicable à cet accident est encore celui de la Convention de Varsovie alors que la Convention de Montréal est en vigueur depuis le 4 novembre 2003. Mais la France n’a ratifié la Convention de Montréal que le 28 juin 2004, soit après l’accident.
Question — Quelles sont les différences entre la Convention de Varsovie et celle de Montréal ?
Christophe LEGUEVAQUES — La Convention de Varsovie date des temps héroïques de l’aviation civile. En 1929, seuls quelques « Indiana Jones » s’aventuraient dans des avions à hélice. Les risques étaient grands et le droit protégeait plutôt les compagnies aériennes. Certes, le droit dérivé de Varsovie (protocole de La Haye de 1955, Convention de Guadalajara de 1961, protocole de Guatemala de 1971 et quatre protocoles additionnels de Montréal de 1975) était venu corriger cet état de fait en augmentant le plafond de responsabilité mais dans le transport international, les compagnies n’étaient tenues qu’à indemniser à hauteur d’un plafond de 250,000 francs or (soit environ 20.000 euros). Pour dépasser le plafond, la victime devait démontrer une « faute inexcusable », c’est à dire que le dommage « résulte d’un acte ou d’une omission du transporteur ou de ces préposés faits soit avec l’intention de provoquer un dommage soit témérairement et avec conscience qu’un dommage en résultera probablement ».
Avec la démocratisation du transport aérien dans les années 1970, ce mécanisme de responsabilité plafonné à un seuil très bas est très vite apparu intolérable, spécialement si la victime est originaire des USA. Par ailleurs, devant les tribunaux, la question de la faute inexcusable soulevait une double difficulté : d’une part, c’était à la victime d’apporter la preuve de cette faute inexcusable et d’autre part, il existe une inégalité de fait dans l’appréciation technique des causes de l’accident. Si le rapport d’enquête (qui met parfois plusieurs années à être communiqué) contient des zones d’ombres sur les causes de l’accident, le doute profitait aux compagnies aériennes !
Le droit de la responsabilité des transporteurs aériens a alors suivi une évolution identique à celle qu’a connu la responsabilité civile en matière automobile depuis le Code de 1804. Avec la convention de Montréal, il faut d’abord indemniser les victimes, y compris en leur octroyant immédiatement une avance.
Ainsi, au terme de son Article 17 : « Le transporteur est responsable du préjudice survenu en cas de mort ou de lésion corporelle subie par un passager, par cela seul que l’accident qui a causé la mort ou la lésion s’est produit à bord de l’aéronef ou au cours de toutes opérations d’embarquement ou de débarquement. »
La Convention de Montréal prévoit une responsabilité objective de plein droit d’environ 142.000 euros. Le transporteur ne peut s’exonérer de la présomption de responsabilité mise à sa charge en cas de dommages corporels aux passagers transportés. Toute clause tendant à exonérer le transporteur de sa responsabilité ou à établir une limite inférieure à celle fixée dans la présente Convention est nulle et de nul effet, mais la nullité de cette clause n’entraînera pas la nullité du contrat qui restera soumis aux dispositions de la présente convention (Article 23).
Mais l’apport le plus important de la Convention de Montréal sur celle de Varsovie réside dans l’inversion de la charge de la preuve : au delà du plafond, pour ne pas indemniser le préjudice réellement subi, la compagnie aérienne doit démontrer
* soit que le dommage n’est pas dû à la négligence ou à un autre acte ou omission préjudicielle du transporteur ou des préposés;
* soit que ces dommages résultent uniquement de la négligence ou d’un autre acte ou omission
préjudiciable d’un tiers (article 21.2). Cette dernière hypothèse, vise par exemple, le cas de la
destruction d’un avion en raison d’un acte de terrorisme, par exemple.
S’agissant de la juridiction compétente, l’action en responsabilité sera portée au choix du demandeur, dans le territoire d’une des Hautes Parties Contractantes : soit devant le tribunal du domicile du transporteur, du siège principal de son exploitation, ou du lieu où il possède un établissement par le soin duquel le contrat a été conclu, soit devant le tribunal du lieu de destination. La procédure sera réglée par la loi du tribunal saisi (Article 28).
L’action en responsabilité doit être intentée, sous peine de déchéance, dans le délai de deux ans à compter de l’arrivée à destination ou du jour où l’aéronef aurait dû arriver, ou de l’arrêt du transport (Article 29 de la Convention).
Question — Contre qui les victimes peuvent elles se tourner pour être indemnisées ?
Christophe LEGUEVAQUES — Afin d’obtenir la meilleure indemnisation et si les faits le permettent il convient d’attaquer tous ceux qui ont concouru à la bonne exécution du vol : le constructeur, l’agence de voyages ou l’Etat à travers ses organes de contrôle.
En droit français, les victimes pourraient d’abord se retourner contre l’agence de voyages qui a organisé le transport sous forme de forfait. Ainsi, la Loi du 13 juillet 1992 a retenu un régime de présomption de responsabilité des agences de voyages en ce qui concerne la vente de voyages à forfait. Ce principe est particulièrement lourd puisqu’il s’agit d’une
présomption de responsabilité du fait personnel et du fait d’autrui.
Dans le dossier Flesh et en l’état des informations qui doivent encore être corroborées, les victimes pourraient se retourner contre le constructeur ou les entreprises qui ont réparé l’aile endommagée. Encore faut-il établir un lien de causalité entre les fautes ayant pu être commises et l’accident. De même, on peut envisager de rechercher la responsabilité de la société d’entretien ou des sociétés de classification et de contrôle, si des négligences en rapport avec l’accident sont établies.
Même l’Etat n’est pas à l’abri des poursuites. Surtout que les explications de la DGAC dans le dossier Flesh ne sont pas très convaincantes : pourquoi avoir laissé voler cet avion en France alors que les autorités suisses l’avaient interdit de vol ? Mais engager la responsabilité de l’Etat suppose de saisir la juridiction administrative et le plus souvent de démontrer une faute lourde.
Question — Quel niveau d’indemnisation une victime est elle en droit d’attendre ?
Christophe LEGUEVAQUES — C’est un des points les plus délicats. Dans le cadre du dossier du Concorde, dossier sensible et particulier, les victimes ont perçu plus de 1,5 millions d’euros aux termes d’un accord amiable. Il est vrai que dans ce dossier la menace de plaider aux USA a été un moyen de pression important tant il est vrai que les assureurs craignent les « dommages punitifs » généreusement octroyés par la justice américaine. Au delà du plafond de la Convention de Montréal pour les vols internationaux, ou du plafond du Règlement CE 2027/97 pour les vols intra européens, la justice indemnise au cas par cas. C’est parfois inique. Si la victime vient d’un pays du tiers monde son indemnisation sera inférieure à celle d’un chef d’entreprise français ; pourtant les deux sont égaux devant la mort.
La meilleure solution consiste alors dans la création d’une association de défense qui négociera un montant forfaitaire sans distinction du sexe, de l’age, de la situation de fortune ou de la situation familiale. De plus, l’union faisant la force, l’association de défense pourra mieux négocier avec tous les responsables réels ou pressentis. C’est la méthode utilisée dans l’accident du Concorde, les avocats des victimes se sont retrouvés autour de la table pour négocier avec les avocats de tous les responsables envisagées : Air France, le fabricant de pneus, la compagnie américaine dont un avion a perdu une pièce sur la piste ayant crevé le pneu et les assureurs de ces différentes sociétés.
Question — Quelles sont les évolutions attendues pour rendre le transport encore plus sûr ?
Christophe LEGUEVAQUES — Tout d’abord, il faut bien comprendre que la sécurité - hors les cas pathologiques liés au terrorisme- constitue un enjeu industriel pour les constructeurs. Dès lors, on peut affirmer que les avions seront toujours plus sûrs, même si le risque zéro n’existe pas.
Reste un facteur difficilement contrôlable, le facteur humain. En effet, plus de 80 % des accidents ont lieu au moment du décollage ou de l’atterrissage. Si l’on suit les recommandations du rapport SAUGUES, il faut instaurer une culture de la sécurité à tous les niveaux du transport aérien de la fabrication à l’exploitation. Pour cela, il faut éviter la dilution des responsabilités, notamment par la création de pavillons de complaisance ou de compagnies virtuelles. Par ailleurs, il faut renforcer la prévention et le contrôle et le cas échéant ne pas hésiter à empêcher un avion de voler si des doutes existent sur sa sécurité, voire sanctionner la compagnie elle-même en lui retirant sa licence de vol. La DGAC semble avoir bien compris le message en interdisant pour la première fois cet été le départ d’un vol charter. Enfin, il faut organiser une meilleure coopération entre les autorités de contrôle. Reste que la sécurité présente un coût certain et la question demeure de savoir qui va le supporter au final.
Le transport aérien demeure le plus sûr moyen de voyager
En 2003, le nombre de passagers transportés a dépassé dans le monde 1,7 milliards.
Hors attentat et guerre, il y a environ 1,500 à 2,000 victimes dans le monde par an, à comparer avec les 6,000 morts sur les routes françaises.
1 accident pour 1 million de vol.
Selon le Bureau des Archives des Accidents aéronautiques de Genève (BAAA), les vols charters (hors charter des compagnies françaises) représentent un potentiel de décès 2,74 fois plus élevés que sur les vols réguliers !
Compte tenu de la croissance prévue (2,5 milliards de passagers en 2015/2020), il devrait y avoir un crash par semaine dans le monde en 2020 !
(sources Odile SAUGUES, Rapport de la mission d’information sur la sécurité aérienne de voyageurs, rapport Assemblée Nationale n° 1717, juillet 2004)