Plus de deux siècles après la Révolution française, serions-nous devenus suffisamment indifférents à la République, à ses valeurs, à ses promesses, pour laisser un parti représentant, tout au plus, un tiers de l’électorat s'approprier l'appellation de « Républicains » ?
Notre goût pour l'autodénigrement ne nous laisserait-il plus voir la République que comme un théâtre d’ombres, victime des affairistes, des communautarismes et autres corporatismes ? Aurions-nous perdu le sens de sa devise, de ces idéaux qui doivent donner une direction à notre pays, une force à notre nation, un projet commun pour demain ? Il suffit pourtant d'échanger avec des citoyens d'autres pays, qui n'ont pas tous la chance de vivre dans une république, pour mesurer la force de ces valeurs que la France a su porter au cours de son histoire, dans des épisodes parfois glorieux, ou au sortir de périodes plus sombres, mais toujours avec le sentiment et la volonté de se (re)trouver dans ces trois mots, Liberté, Égalité, Fraternité.
L'histoire de la République, c'est l'histoire de la démocratie française, car la République a été la seule voie d'accès « que la France ait connue à la démocratie politique moderne », comme l'explique Pierre Nora (Recherche de la France, Gallimard, 2013). A cette histoire faite de combats, la République doit d'avoir longtemps fait peur, à droite notamment, car elle restait attachée au souvenir de la Terreur. Souvent décriée, la « Gueuse » comme la droite l'a longtemps nommée, est souvent apparue en sursis, faible ou instable, et ne doit sa pérennité qu’à la vigilance sourcilleuse de tout un peuple qui veut se reconnaître en elle comme cela a encore été démontré, à la surprise générale, le 11 janvier 2015.
Les républicains ce sont donc tous les Français-e-s qui, au fil des générations, se reconnaissent dans ce « Peuple français qui proclame solennellement son attachement aux Droits de l’homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils sont définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le Préambule de la Constitution de 1946 » (Préambule de la Constitution de la Vème République).
Le monopole de la représentation républicaine a maintes fois été disputé dans notre histoire et le hold-up sémantique que veut opérer aujourd'hui un ancien Président de la République pourrait apparaître comme une énième illustration de cette « course à la République » (Pierre Nora). Pourtant, les motivations et les conditions de cet accaparement ne peuvent laisser les républicains que nous sommes indifférents. Nicolas Sarkozy, après une étude marketing aussi discrète que poussée, veut faire un coup… d’éclat. Puisant à nouveau son inspiration dans son admiration pour les USA, où le financement des campagnes électorales ne connaît guère de règles et où les lobbies atteignent des sommets de puissance, il veut faire de ce lieu de mémoire qu'est la République une marque et s'en accaparer l'utilisation.
Il engage cette opération de mystification politico-historique alors même que le parti dont il est le chef a refusé le front républicain pour faire barrage à l’extrême-droite lors des dernières élections locales. Ayant sans doute observé que le discours lepéniste multipliait les références à la République, à une conception bien précise de la République, fermée sur elle-même et effrayée, il court après cette stratégie potentiellement aussi efficace que malhonnête.
Un ancien président qui se moquait ouvertement des droits de l’homme et de la justice, qui a maintes fois défendu une approche chrétienne de la laïcité, prétend donc s’arroge le titre de Républicain.
Après avoir puisé sa pensée et son discours chez un pseudo-historien vrai-maurassien (donc anti-républicain), il achète le plan médi d’un publicitaire venu doctement nous expliquer que la « République n’est ni de gauche … ni de gauche ». Pour cet historien créateur de polémique, c'est la gauche qui par trois fois aurait renversé la République, que la droite aurait su relever seule (sic). En gros, Robespierre le vilain serait responsable des deux Napoléons (pourtant adulé par cette droite bonapartiste qui inspira plus d’un de ses chefs), une période dont on ne sort en 1871 que grâce à l'homme de droite Adolphe Thiers. Puis la Chambre du Front populaire cause l’effondrement de la République, que De Gaulle rétablit.
Pourtant, la droite n’est devenue réellement républicaine que sur le tard, après avoir été monarchiste (absolutiste ou libérale), bonapartiste, boulangiste et finalement républicaine … à partir de 1945, comme l’UMP le reconnait-elle-même sur son site. Nous sommes donc face à une opération révisionniste qui vise la privatisation d’un nom commun, porteur d’un idéal collectif, idéal d'une politique qui ne se fait pas à la « corbeille » comme aurait dit de Gaulle.
Au-delà du changement de nom, le projet est clairement affirmé : il s’agit d’exproprier de la République tous ceux qui ne pensent pas comme Nicolas Sarkozy. Ils pourraient être nombreux, jusque dans son propre camp, puisque les réactions ne manquent pas au sein d'une droite qui ne place pas nécessairement la République au cœur de son ADN.
Ce que Nicolas Sarkozy a très bien compris, c'est que celui qui contrôle les mots, contrôle la pensée et détient le pouvoir, comme le démontre savamment le linguiste Victor Klemperer dans son ouvrage « LTI ». D’autres, comme Orwell ne disent pas autre chose lorsqu’ils décrivent la « novlangue ». Et nos publicitaires, au sourire si doux et éclatant de blancheur, ne sont que les nouveaux propagandistes du moment. Dans « 1984 », le fonctionnaire en charge de sa rédaction expliquait que le véritable but de la novlangue était de restreindre les limites de la pensée : « À la fin, nous rendrons littéralement impossible le crime par la pensée car il n’y aura plus de mots pour l’exprimer. Tous les concepts nécessaires seront exprimés chacun exactement par un seul mot dont le sens sera délimité. Toutes les significations subsidiaires seront supprimées et oubliées ».
Voilà pourquoi c’est maintenant qu’il faut réagir. Il faut réaffirmer que si que la droite « décomplexée » veut changer nom, elle ne peut le faire en réalisant une « captation d’héritage », comme l’a si bien dénoncé l’historien Jean-Noël Jeanneney (Le Monde, 15 avril 2015).
Laisser une telle opération se réaliser, ce serait risquer que les générations futures ne comprennent plus le sens des mots « République » et « républicains ». La République est le régime qui nous permet de vivre ensemble. Elle cimente notre mémoire collective et nous appelle sans cesse à la vigilance et à l’action. Si le mot peut paraître usé, ou moins fort, des Français meurent encore aujourd’hui à son service, ou pour avoir porté ses idéaux.
Pour toutes ces raisons, il nous est apparu que nous devions tout faire pour éviter cette confusion délibérée, cette expropriation de notre patrimoine commun, cette manipulation des mots pour mieux habiller des idées nauséabondes.
Sans le soutien du moindre parti, de la moindre organisation, nous avons lancé une pétition en ligne (www.noussommeslesrepublicains.org) qui, en 10 jours, a réuni près de 5000 signataires. Dans le même temps, nous avons préparé des actions judiciaires pour que les Républicains demeurent libres et égaux en droit. Libres de droit, plus précisément, car les républicains ne sont pas une marque commerciale que l’on peut apposer sur des bijoux ou des sous-vêtements, ce sont les hommes et les femmes qui demain se battront pour que les principes fondateurs gravés dans le marbre des monuments soient des réalités vivantes et palpables.
Nous nous battons parce que nous sommes républicains, et vous ?
Christophe Lèguevaques, Emmanuel Vinteuil, Pierre-Yves Schanen, Joël Heirman,
Matthieu Boissavy, William Bourdon, Thomas Clay, Dominique Coujard, Rémi Demersseman-Pradel, Vincent Fillola
Sabrina Goldman, Pascale Richard, Eric Spitz, etc.
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